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Lacourte Raquin Tatar - Octobre 2023 - Focus

Lacourte Raquin Tatar - Octobre 2023 - Focus
Le projet de PLU adopté par le Conseil de Paris le 5 juin dernier doit encore faire l'objet d'une enquête publique. Les innovations qu'il contient et les nouveaux équilibres qu'il promeut posent de nombreuses questions.
par Anne-Laure Gauthier Avocat Counsel
Publié le 09 octobre 2023 à 15:25
par Anne-Laure Gauthier

Depuis son adoption en juin 2006, le plan local d'urbanisme (PLU) de la Ville de Paris a fait l'objet de plus d'une trentaine de procédures d'évolution, dont trois modifications dites générales, la dernière adoptée en juillet 2016. Celle-ci avait pour principal objet de pallier la suppression du coefficient d'occupation des sols (COS) par la loi Alur n° 2014-366 du 24 mars 2014. Elle a aussi introduit des dispositions en faveur de l'environnement, qui exigent notamment des constructions un niveau renforcé de performance énergétique et environnementale (actuel article UG.15). La révision dont le projet a été rendu public doit permettre à la ville de Paris de relever des défis sociaux et environnementaux majeurs. Plusieurs dispositions méritent l’attention, des professionnels de l’immobilier notamment, compte tenu de leur portée et de leur nature parfois très innovante et donc potentiellement risquée.

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Plusieurs dispositions sont très innovantes et donc potentiellement risquées.

Anne-Laure Gauthier avocat counsel

Genèse et calendrier du PLU dit « bioclimatique »

A la fin de l’année 2020, la ville de Paris a souhaité aller plus loin, et a décidé de réviser son PLU pour se doter d’un PLU "bioclimatique" (PLUb), sans que cette terminologie ne corresponde à une notion définie par le Code de l’urbanisme.
Le projet de PLU a été adopté lors du Conseil de Paris du 5 juin dernier et transmis — pour avis — aux personnes publiques associées (région Île-de-France, métropole du Grand Paris, Île-de-France Mobilités, SNCF Réseau, CCI de Paris…). Il fera ensuite l’objet d’une enquête publique qui devrait se dérouler début 2024, le calendrier ambitieux de la ville de Paris ayant quelque peu glissé. Le PLUb sera enfin soumis pour approbation au vote du Conseil de Paris fin 2024 pour une entrée en vigueur début 2025.

Incarner un projet politique

L’un des axes majeurs du PLUb, comme son nom l’indique, est de lutter contre le réchauffement climatique, en faisant de la capitale une ville "en transition", "vertueuse" et "résiliente".

Dans cette optique, le projet de règlement comprendra des règles renforcées en matière d'aménagement d’espaces de pleine terre, de végétalisation des parcelles, de performances environnementales… qui demeureront — comme c’est actuellement le cas — différentes selon que les travaux portent sur une construction nouvelle ou une restructuration lourde, laquelle est désormais définie comme « les travaux visant à rénover ou modifier une construction existante et soumis à autorisation d’urbanisme qui suppriment ou rendent à l’état neuf les éléments déterminant la résistance et la rigidité de la construction dans une proportion d’au moins 15 %, sous réserve des travaux qui ressortent de la reconstruction ».

Il introduit également un dispositif original de "valorisation des externalités positives" des projets afin de favoriser les projets ayant des effets bénéfiques sur leur environnement social, urbain et environnemental ("l’urbascore").

Renforcement des exigences d’espaces libres en pleine terre et végétalisation du bâti

Le projet de PLUb supprime la notion de bande Z (dont la largeur était fixée à 15 mètres par rapport à l’alignement) qui déterminait le calcul des espaces libres et des espaces de pleine terre. En effet, 31 % des parcelles parisiennes faisant moins de 15 mètres de profondeur, elles n’étaient de fait pas concernées par l’exigence d’espace libre/verts.

Le futur article UG.4.1.1 du règlement institue, par ailleurs, une surface minimale d’espace libre de construction déterminée en fonction de la superficie du terrain. Cette règle ne s’applique qu’en cas de construction neuve ou d’intervention entraînant une modification de l’emprise au sol et pour des terrains dont la superficie est inférieure à 150 m². La surface minimale est, en outre, différenciée selon que le terrain se situe ou non dans le secteur de renforcement du végétal.
Les espaces libres de construction doivent être en pleine terre « sauf en cas d’incompatibilité avec les caractéristiques géophysiques du sous-sol du terrain » (présence de gypse, remblais instables…) et être « végétalisés ». Des surfaces non végétalisées comportant des revêtements perméables ou drainants peuvent être admises pour l’aménagement d’espaces de circulations strictement nécessaires à l’accès et au fonctionnement des constructions (accessibilité aux personnes à mobilité réduite et défense incendie).

Les espaces libres doivent, en outre, être aménagés « si possible d’un seul tenant » et « sensiblement au niveau du sol existant ».

En revanche, est abandonnée la possibilité de "descendre" l’espace libre : « lorsque l’affouillement dégage à l’intérieur du terrain un espace libre de surface suffisante et de géométrie satisfaisante où peuvent s’éclairer des locaux situés au-dessous de la surface de nivellement de l’îlot. Les locaux établis sous la surface de nivellement de l’îlot en application de cette disposition doivent présenter après travaux des conditions d’hygiène, de sécurité et d’éclairement satisfaisantes, au regard de leur destination ». Cette disposition permettait pourtant de transformer des surfaces en infrastructure souvent dédiées au stationnement en des espaces communs de l’immeuble, de type salle de sport, espace de travail partagé, restaurant d’entreprise… Sa disparition risque d’obérer les possibilités d’évolution des immeubles existants.
A noter enfin, que, par exception, certaines installations ou constructions légères sont admises, de façon limitée, dans les espaces libres, notamment les dispositifs de récupération des eaux pluviales en vue de leur utilisation, ou encore les installations légères affectées au stationnement des vélos ou à la collecte et au tri des déchets ménagers et assimilés, exception qui pourra s’avérer intéressante au vu des exigences renforcées en matière de stationnement vélos.
En outre, le PLU bioclimatique introduit un indice de végétalisation du bâti qui « est égal à la somme pondérée des surfaces végétalisées existantes ou projetées, rapportée à l’emprise au sol de la construction, de l’extension ou à l’emprise du volume en surélévation ».

De nouvelles règles qui soulèvent des difficultés techniques et esthétiques

Ce nouveau dispositif oblige le pétitionnaire à végétaliser certaines surfaces de la construction, notamment les toitures, les terrasses, les espaces sur dalle et les façades, et ainsi contribuer à créer des îlots de fraîcheur au sein d’espaces parfois trop peu ou non végétalisés.

L’indice exigé est plus au moins élevé selon que le terrain se situe — ou non — dans le secteur de renforcement du végétal. Il est, en outre, moins exigeant dans les cas de restructurations lourdes et de surélévations afin d’inciter davantage les projets intervenant sur le bâti existant. Enfin, le règlement admet la possibilité d’avoir un indice de végétalisation inférieur à celui exigé, notamment en cas d’impossibilité technique pour les restructurations lourdes et les surélévations ou en cas d’impossibilité liée à la préservation du patrimoine, à l’insertion dans le cadre bâti ou à la sécurité.
Si les nouvelles règles de végétalisation du bâti sont naturellement louables au vu des changements climatiques que l’on observe, elles risquent néanmoins de soulever plusieurs difficultés : la structure des bâtiments ne supportera pas forcément les épaisseurs de substrats prévues, surtout la végétalisation des toits et des façades risque de se heurter à l’opposition des Architectes des bâtiments de France ou de la commission du Vieux Paris (quand bien même sa consultation n’est que facultative).

Urbascore : l’innovation pour valoriser les externalités positives…

Le futur chapitre UG.8 du projet de PLU comprend un nouveau dispositif appelé Urbascore. Ce dernier impose au pétitionnaire de renforcer la performance de son projet selon des critères regroupés en trois thématiques : « Biodiversité et environnement », « Programmation » et « Efficacité énergétique et sobriété ». L’objectif est de valoriser les projets architecturaux et urbains particulièrement innovants et sobres.

Ainsi tout projet de construction neuve ou de restructuration lourde de plus de 150 m² devra cumulativement :

respecter l’ensemble des règles prévues par les autres chapitres du règlement du PLU ; ce qui est l’approche juridique habituelle ;

atteindre ou dépasser un seuil dit de « surperformance » pour au moins trois critères, relevant d’au moins deux thématiques différentes laissés à son choix ; ce qui est pour le moins original.

A titre d’exemple, le règlement prévoit, dans la thématique « Programmation », la possibilité de surperformer en matière de mixité sociale en atteignant une part minimale de logement social supérieure de 5 points à ce qui est exigé par le PLU (soit 55 % dans la zone d’hyper-déficit en logement social).
Les critères peuvent sortir du champ strict du droit de l’urbanisme. Tel est, en particulier, le cas des critères de la thématique « Efficacité énergétique et sobriété » qui se réfère à la Réglementation Environnementale 2020 (pour les bureaux neufs, il s’agit d’être 10 % en-dessous de la valeur Bbio maximale de la RE 2020) ou à des indicateurs d’impact sur le changement climatique des composantes de la construction.

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Végétaliser le bâti : un objectif central du projet de PLU.

Une audace qui pose néanmoins question

Dispositif le plus audacieux du PLUb, cet "urbascore" n’est pas sans soulever un certain nombre d’interrogations :

son fondement légal n’est pas évident, dans la mesure où il conditionne la délivrance des autorisations d’urbanisme, mais pourrait reposer sur l’article R. 151-12 du Code de l’urbanisme, aux termes duquel « les règles peuvent consister à définir de façon qualitative un résultat à atteindre, dès lors que le résultat attendu est exprimé de façon précise et vérifiable » ;

il pose la question des pièces à joindre au dossier de demande pour justifier de l’atteinte d’au moins trois des critères et de la capacité des services instructeurs à contrôler le respect de certains des critères (on pense principalement à la thématique « Efficacité énergétique et sobriété »). Et l’on se souvient que dans les premiers mois de l’entrée en vigueur de la modification générale de 2016, les services instructeurs exigeaient, pour s’assurer du respect des dispositions de l’article UG.15, la production d’une attestation d’exemplarité énergétique (PC22) cependant que celle-ci n’est à produire que dans les cas où le projet revendique une dérogation aux règles du PLU pour les projets faisant preuve d'exemplarité énergétique ou environnementale (article L.151-28 3° du Code de l’urbanisme).

Il est également permis de s’interroger sur le contrôle du respect de certains des critères au stade de l’achèvement des travaux. En effet, le Code de l’urbanisme impose seulement d’annexer à la déclaration attestant de l’achèvement et de la conformité des travaux une attestation de prise en compte de la réglementation thermique et non pas une attestation de "surperformance".

Surtout, il est permis de regretter que le respect de cet urbascore, qui sera très contraignant pour les projets, ne soit pas assorti d’une bonification des droits à construire. Il n’est, en effet, pas évident que la contrainte (plutôt que l’incitation ou la bonification) soit la voie la plus efficace pour parvenir à une régénération du tissu urbain parisien… L’enquête publique à venir sera l’occasion d’en débattre !

Résumé

  • Le projet de PLU a été approuvé le 5 juin dernier et transmis, pour avis, aux personnes publiques associées.
  • Il doit ensuite être soumis à enquête publique (vraisemblablement début 2024) au cours de laquelle tous les habitants, associations, acteurs économiques pourront faire des observations auprès de la commission d’enquête. La durée de l’enquête étant assez courte (un mois/un mois et demi), il faut sans attendre préparer des observations, ciblées sur telle disposition concernant plus particulièrement tel immeuble (i.e : « pastillage ») et/ou générales sur telle réglementation contraignante pour le secteur immobilier.
  • Le futur PLUb renforce l’exigence de traitement en pleine terre des espaces libres et réduit fortement les possibilités de dérogation pour des raisons techniques réservées aux seuls cas d’incompatibilité avec les caractéristiques géophysiques du sous-sol du terrain.
  • Il distingue les exigences de végétalisation du bâti afin qu’elle ne soit plus une alternative à la réalisation d’espaces libres.
  • Il met en place un nouveau dispositif innovant de valorisation des externalités positives dont le respect conditionnera la délivrance des autorisations d’urbanisme.