Entretien

PLU bioclimatique de la ville de Paris : un projet ambitieux mais incohérent ?

PLU bioclimatique de la ville de Paris : un projet ambitieux mais incohérent ?
Adapter la ville pour pouvoir y vivre malgré les changements climatiques, et ce, à un prix abordable pour le plus grand nombre : tels sont les objectifs de la révision du plan local d’urbanisme (PLU) de la ville de Paris. L’occasion de croiser les analyses d’Omar Fjer, managing director dans la branche immobilière du fonds Ardian, et Vincent Guinot, avocat, associé du cabinet Lacourte Raquin Tatar, spécialisé en droit public et plus particulièrement en droit de l’urbanisme.
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Publié le 09 octobre 2023 à 15:29
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Le projet de PLU Bioclimatique présenté par la ville de Paris ces derniers mois a suscité de nombreuses et vives réactions. En quoi est-il différent des autres ?

Omar Fjer : Les règles d’urbanisme applicables à Paris ont connu des évolutions étalées qu’il est cohérent de considérer depuis la première mandature de Bertrand Delanoë jusqu’à l’actuelle. L’adaptation des acteurs économiques s’est faite avec une certaine souplesse et une évidente raison, tant les contraintes propres à la ville de Paris s’imposent à tous. Les objectifs politiques et les réalités économiques étaient finalement assez correctement articulées. Néanmoins, depuis la pandémie, des indices sont apparus laissant comprendre que le cadre posé, reposant sur des éléments clairs, allait évoluer et que des difficultés allaient apparaître.

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Ce qui déstabilise les acteurs, c’est quand la ville enlève ce qui permettaient de rentabiliser les opérations et d’améliorer la qualité environnementale des programmes.

Omar Fjer Managing Director, branche immobilière, Ardian

Vincent Guinot : Deux éléments sont à souligner. Tout d’abord, un élément politique. Le lancement de la procédure de révision coïncide avec les dernières élections municipales. Ce qui est logique car la réflexion sur l’avenir environnemental et social de la ville était l’un des thèmes majeurs. Or, cette réflexion irrigue de nombreuses politiques publiques sectorielles, dont l’urbanisme. Ensuite, techniquement, n’oublions pas que le PLU actuel est relativement ancien, datant de 2006, et n’avait jamais été révisé depuis. Or, plusieurs grandes lois importantes en matière d’urbanisme ou produisant des effets en matière d’urbanisme ont été adoptées entre temps : le Grenelle de l’environnement, la loi Alur, la loi dite Elan… Ces lois ont verdi, transformé les PLU, changé les destinations (l’habitation, les bureaux, les constructions de services publics…). Clairement, le décalage juridique était important et il était normal que la ville de Paris remette son PLU à niveau.

O. F. : Une remarque : le PLU est l’un des rares outils politiques qui reste aux mains des maires. Il est normal qu’ils s’en saisissent pour incarner le programme sur lequel ils ont été élus. Critiquer le dogmatisme en la matière me semble inapproprié. Le sujet est d’être capable de débattre des moyens et des chemins permettant de réaliser les objectifs visés, tant individuels que collectifs. Personne ne peut être contre une ville plus verte, plus résiliente, avec des logements plus accessibles pour le plus grand nombre. Encore faut-il que tous les acteurs concernés aient les moyens de réaliser cela.

Premier volet, en matière de mesures bioclimatiques, quels sont les points clés ?

V. G. : J’en vois cinq, qui se complètent. Des obligations de végétalisation des immeubles, plus importantes que ce qui existait jusqu’alors. Des normes environnementales à respecter d’un niveau plus élevé que celui applicable au plan national, avec des normes techniques excédant celles de la réglementation RE2020, par exemple. Des mesures visant à empêcher le plus possible la démolition et à promouvoir la réutilisation de l’existant, avec des obligations renforcées en matière de traitement des déchets de chantier, de remploi des matériaux. Des bâtiments évolutifs, intégrant une capacité de réemploi, de réversibilité. Enfin, pour obtenir une ville plus durable, l’accent est mis sur le choix des matériaux, biosourcés, produits à base de matières recyclées…


Pour les professionnels de l’immobilier, s’agit-il d’un problème en soi ?

O. F. : Pas en soi. A Paris, le foncier coûte extrêmement cher. Dans une opération, le coût d’acquisition représente jusqu’à 80 % du coût total d’investissement, les 20 % restant étant consacrés aux travaux, soit schématiquement des proportions bien plus déséquilibrées de ce qui se fait en dehors de Paris... De ce fait, quand les coûts des travaux augmentent, par exemple en raison de nouvelles normes environnementales, il est possible de les absorber en raison de leur impact plus limité sur le coût total d’investissement, d’autant qu’il existe tout de même une certaine élasticité-prix sur le marché (les actifs les plus performants sur les normales environnementales valent plus chers).
Ce qui pèse lourd pour les investisseurs, ce n’est donc pas l’exigence des normes environnementales. Ce qui déstabilise les acteurs, c’est quand symétriquement la ville de Paris décide d’enlever les quelques droits à construire supplémentaires qui, jusqu’ici, permettaient de rentabiliser les opérations immobilières et d’améliorer la qualité environnementale des programmes, voire oblige à dédensifier les projets ou réduire la part de bureau déjà existante.

V. G. : Depuis 2016, la rentabilité économique des opérations immobilières intégrait des règles d’urbanisme devenues plus contraignantes, en particulier en matière environnementale, grâce aux fameux 10 % supplémentaires de surface de bureaux réalisables, mais aussi grâce à des dispositions qui permettaient de ne pas tenir compte des agrandissements réalisés au rez-de chaussée et dans les infrastructures. Tout cela est censé disparaître : perte des 10 % de SPE supplémentaires et l’on ne peut plus descendre les espaces libres en dessous du niveau du terrain naturel. Et si des travaux lourds sont réalisés dans des immeubles situés dans l’Ouest parisien, d’au moins 5 000 m2, 11 % de la surface de l’immeuble de bureaux doivent être convertis en logement, dont 50 % en logements aidés.
L’évolution des règles applicables à la production des bureaux est donc au cœur de vos préoccupations…

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L’autre mesure, bien moins médiatisée, mais d’effet considérable, concerne la mixité fonctionnelle.

Vincent Guinot avocat, associé, Lacourte Raquin Tatar

O. F. : L’idée fondamentale de la municipalité est de rééquilibrer le territoire parisien, partant du constat qu’il y a trop de bureaux à l’Ouest et pas assez d’activité à l’Est, ainsi qu’une mauvaise répartition des logements sociaux concentrés, eux, dans l’Est de la capitale.
Avant même la mise en œuvre de ce PLU, cela fait donc des années que l’octroi des permis de construire des bureaux est bien plus simple dans le 19e arrondissement, par exemple, que dans le 8e. Pourtant, le taux de vacance en bureaux est extrêmement bas, près de 3 %. Pendant ce temps, le taux de vacance en matière de logement est aux alentours de 10 %. Et majoritairement, ces logements vacants sont situés à l’Ouest. Cela représentant plus de 100 000 logements. De ces deux chiffres, l’équipe municipale déduit qu’il y a trop de bureaux et pas assez de logements. Elle prévoit donc dans le nouveau PLU, de restreindre drastiquement la création de tout m2 de bureau supplémentaire.
C’est cette logique qui échappe à la plupart des professionnels de l’immobilier. Si l’on prend du champ, la vie de chacun est organisée autour du travail, du logement et des activités personnelles. Comment penser une ville, avant tout tertiaire, avec des logements mais manquant de bureaux pour permettre aux habitants d’y travailler ?

Premier volet, en matière de mesures bioclimatiques, quels sont les points clés ?

V. G. : Il y a une mesure dont tout le monde parle et une autre plus discrète mais bien plus déstabilisante. D’une part, la fameuse « pastille », qui est un dispositif qui désigne un millier d’immeubles, principalement situés dans les 8e et 16e arrondissement. Il s’agit en fait d’emplacements réservés. En soi, c’est un outil qui existe dans tous les PLU bien que son usage reste relativement mesuré. Ce n’est pas le cas ici. Dès lors que le propriétaire souhaite faire des travaux lourds, il est de facto tenu d’affecter ses projets à l’emplacement réservé. La ville, si elle le souhaite, peut alors acheter le bien et, en cas de désaccord sur le prix, c’est au juge qu’il revient de trancher. La ville peut tout aussi bien décider de ne pas agir et laisser faire le propriétaire. Ce qui change, c’est le nombre de biens concernés, bien plus important, et leur nature : aux parkings-silos et bâtiments et terrains publics ou parapublics s’ajoutent désormais des immeubles privés. C’est l’outil dont on parle le plus. L’autre mesure, bien moins médiatisée, mais d’effet considérable, concerne la mixité fonctionnelle qui va s’imposer à toute opération de restructuration d’un immeuble d’une certaine taille, dans l’ensemble de l’Ouest parisien.

O. F. : Tout le monde parle, en effet, de cette procédure du pastillage qui va considérablement ralentir les opérations immobilières. Mais je pense que l’effet sera nul ou très faible, du fait des moyens tout de même limités de la ville de Paris. En outre, en ralentissant les transactions immobilières, le budget de la ville sera affecté via les droits de mutation qui baisseront. En revanche, la servitude de mixité fonctionnelle, à hauteur de 11 % de logements aidés et pour un minimum de 500 m2, devrait, elle, s’appliquer à tous les bâtiments de plus de 5 000 m2 et aura un effet majeur.

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Quelles conséquences sur le marché anticipez-vous ?

O. F. : Tout d’abord, ainsi engagées, ces mesures devraient produire une augmentation du prix du m2 pour les bureaux. Cela conduirait à restreindre encore l’accès au foncier parisien aux seules entreprises les plus fortunées (luxe, industrie financière, métiers de conseil…). En somme, l’exact opposé de l’objectif que la ville veut atteindre. Par- delà le prix, cette révision du PLU de Paris aura des conséquences également sur les acteurs. Avec l’obligation de mixité d’usage, la valeur des biens va diminuer et il ne sera plus possible de financer la transition environnementale.

Avec l’obligation de mixité d’usage, la valeur des biens va diminuer et il ne sera plus possible de financer la transition environnementale.

Omar Fjer managing director, branche immobilière, ardian

Et à moyen terme ?

O. F. : Ce PLU instaurerait une instabilité en matière d’urbanisme, quelque chose que les investisseurs redoutent, au même titre que l’instabilité fiscale. Il contient des règles floues en matière de conditions d’autorisation d’urbanisme. La logique n’est plus d’être conforme à des obligations, mais va nous imposer d’aller au-delà de ce qui est légal, via l’usage d’un urbascore, qui va générer une incertitude dangereuse. La valeur des biens acquis sera sujette à des évolutions importantes. Sans prise en compte du sens économique, ce PLU n’aura pas les effets attendus et décevra tout le monde, du citoyen le plus modeste à l’investisseur le plus solide. L’attractivité de Paris en souffrira de manière importante. La transition écologique également.

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Bureau à Paris de la banque Goldman Sachs, 85 avenue de Marceau (Paris, 16e), ayant fait l'objet d'une restructuration intégrale et labellisé Bâtiment Basse Consommation.

Comment serait-il possible de faire mieux ?

O. F. : Un PLU est un objet très politique. Celui dont nous parlons est le fruit d’un long travail de compromis entre les membres de la majorité. Dans ce contexte-là, une fois que les choses seront stabilisées, il y a peu de chance que les élus souhaitent revoir cet équilibre. Des précisions seront sans doute apportées. Néanmoins, je ne doute pas que certains membres de l’équipe municipale soient très conscients des limites qu’il comporte.

V. G. : En effet, je doute que les principales dispositions (urbascore, végétalisation, moratoire sur les bureaux, production de logements sociaux) soient modifiées. La servitude de mixité pourrait peut-être voir son champ et ses conditions d’application évoluer, être mieux définie, notamment à propos de l’assiette des 11 %. Clairement, des précisions sont à obtenir pour accroître la sécurité juridique et la prévisibilité des investissements. Il est donc nécessaire que les acteurs de l’immobilier se saisissent de cette opportunité dans le cadre de l’enquête publique. Il s’agit d’une étape fondamentale, où chacun aura des intérêts particuliers légitimes à défendre. Tous néanmoins ont intérêt à une approche plus globale, sur la pertinence des règles et le caractère éventuellement contre-productif de certaines. Les professionnels de l’immobilier sont bien organisés et, à notre niveau, notre cabinet accompagne certains d’eux — et certaines de leurs organisations — en particulier dans la perspective de l’enquête publique, annoncée pour janvier prochain.

Une autre approche serait-elle plus efficace pour concevoir l’urbanisme parisien ?

O. F. : La question de l’échelle à laquelle il faut réfléchir et penser les solutions me semble primordiale. Et je ne crois pas que l’échelle d’un bâtiment soit la plus pertinente pour bien saisir le sujet de la mixité d’usage par exemple, et pour bien agir en matière de logement. L’urbanisme à Paris mériterait d’être davantage pensé et articulé avec l’urbanisme de toutes les communes aux alentours. Paris est sans doute l’une des capitales avec la surface la plus réduite qui soit, avec à peine plus de 100 km2. A titre de comparaison, Londres, c’est 1 600 km2 environ. Les interactions avec les communes voisines, avec le Grand Paris pourraient être mieux prises en compte. Cela serait un bon moyen de libérer les imaginations, de mobiliser davantage de moyens et produire sans doute plus d’effets encore, que ce soit en matière d’attractivité économique, de logement et de transition environnementale.

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