Entretien

L'outil pour articuler besoins publics et projets privés

L'outil pour articuler besoins publics et projets privés (AH_FOTOBOX)
La réponse à la demande de logements est un enjeu public majeur, tout comme la réalisation d’équipements publics, alors même que les tensions financières sont réelles et la disponibilité foncière toujours plus réduite. Pour répondre à ces enjeux dans un tel contexte, les partenariats immobiliers public/privé sont des solutions très régulièrement employées. Leur maniement juridique reste néanmoins délicat, entre droit de la commande publique, droit des sociétés, droit de l’urbanisme et de l’immobilier notamment.
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Publié le 29 janvier 2024 à 10:43
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Guillaume DELACROIX, directeur juridique d’Altarea et président de Juridim, et Benoit NEVEU, avocat, associé du cabinet Lacourte, Raquin, Tatar, passent en revue les enjeux auxquels sont confrontés les acteurs publics et leurs partenaires. Ils envisagent ensemble également quelques pistes qui permettraient un recours plus large à ces outils efficaces et utiles.

Qu’entend-on par partenariat public/privé immobilier ?

Guillaume Delacroix : Les partenariats public-privés en matière immobilière sont monnaie courante et visent à intégrer, dans le cadre d’une opération immobilière, la réalisation d’équipements publics (une crèche, un gymnase, un parking public etc). Il peut s’agir de créer des équipements répondant à un besoin généré par l’opération portée par le promoteur immobilier (par exemple la création d’une école pour accueillir les nouvelles familles qui vont acheter les appartements du promoteur). Mais parfois, c’est la collectivité qui va être à l’initiative du partenariat en cherchant à valoriser son foncier (par exemple, en cédant un équipement public vétuste à un promoteur immobilier, à charge pour lui d’intégrer dans son opération la reconstitution de l’équipement).

Pour un acteur comme nous, au regard de toutes nos activités, cela concerne environ une opération sur trois ou quatre, mais cela devient quasiment systématique sur les projets les plus importants.

Avec la rareté du foncier et l’objet de zéro artificialisation nette, ces partenariats ont tendance à se développer.

Guillaume Delacroix directeur juridique d’altarea et président de juridim

Benoit Neveu : Aux côtés de l’opérateur privé, on retrouve des acteurs publics ou parapublics, en particulier des collectivités locales ou des bailleurs sociaux. Juridiquement, ces projets recouvrent des formes très variées. Certains partenariats se traduiront simplement par un ou plusieurs contrats, dans d’autres la création d’une société commune sera souhaitée. La diversité de ces partenariats découle enfin de l’origine de l’initiative du projet, selon que cette dernière provient d’un acteur public ou parapublic ou d’un promoteur privé.

Comment s’inscrivent-ils dans le champ juridique ?

G. D. : Nous parlons de partenariats qui ne bénéficient pas d’un cadre juridique spécifique et adapté. Nous devons composer avec les règles de la commande publique issues du droit européen et transposées relativement récemment en droit interne. Nous avons donc relativement peu de jurisprudence, ce qui créé de l’insécurité juridique, ce qui n’est jamais une bonne chose. Qu’il s’agisse des opérateurs privés ou publics, nous devons donc être vigilants et procéder, au cas par cas, à une analyse juridique poussée. Une solution ou un montage valable dans un cas ne l’est pas forcément dans l’autre ! D’où la nécessité également de s’entourer de bons conseils …

B. N. : L’enjeu est d’identifier les règles propres aux personnes publiques susceptibles de trouver à s’appliquer et de veiller ensuite à leur respect. Il en va ainsi en particulier des règles de la commande publique, mais pas seulement : les règles de la domanialité publique, de la maîtrise d’ouvrage publique, voire de la comptabilité publique peuvent interférer. Il s’agit de définir à chaque fois un schéma permettant aux acteurs concernés de sécuriser leur projet et d’assurer la cohérence avec les autres projets publics mis en œuvre, de poser les responsabilités de chacun. Cette ingénierie doit permettre d’assurer le bon déroulement des projets, dans la durée.

Pour quelles raisons les acteurs concernés ont-ils développé le recours à ces partenariats ?

G. D. : Il existe un réel besoin d’équipements publics qui découle de la croissance de la population et des évolutions démographiques.

Par ailleurs, les équipements existants sont souvent vétustes et il est dans bien des cas moins coûteux de les démolir pour les reconstruire plutôt que de les rénover. La prise en compte des enjeux climatiques (certains vieux équipements sont de véritables passoires thermiques) a renforcé ce phénomène.

Surtout, leur démolition-reconstruction permet aux communes de financer le coût du nouvel équipement grâce à la cession du foncier à un promoteur : je pense à une opération en particulier sur laquelle nous travaillons : une ville possède un parking public en surface idéalement placé en plein centre-ville. Elle va nous le vendre afin que nous réalisions en lieu et place de cet équipement un immeuble de logements. Nous intégrons en sous-sol de notre opération la reconstitution d’un nouveau parking public que nous revendons à la ville. La ville nous paiera cet équipement grâce au prix du foncier. Cet exemple illustre à quel point ces partenariats public privé peuvent être vertueux : économiquement d’abord (la ville a un parking flambant neuf sans bourse délier) mais aussi d’un point de vue urbanistique et environnemental : à l’étalement horizontal, on a préféré l’empilement vertical…

B. N. : Les acteurs publics disposent souvent de réserves foncières. Il leur est possible de les valoriser auprès d’opérateurs privés susceptibles d’apporter un financement à des opérations bénéfiques pour la communauté, tout en prenant en charge le risque de leur conduite. Ces partenariats sont un moyen équilibré et raisonnable d’articuler ces besoins et ces ressources. Néanmoins, la logique des projets n’est pas toujours financière. Elle repose aussi régulièrement sur la réponse à un besoin qui apparaît dès lors que le développement de programmes immobiliers comprenant de nombreux logements réclame de facto la création d’équipements publics pour servir la population habitante.

C’est un moyen équilibré et raisonnable d’articuler besoins publics et ressources privées"

Benoit Neveu avocat, associé, Lacourte Raquin Tatar

Quels sont les principaux enjeux ?

B. N. : D’un point de vue juridique, l’un des principaux enjeux est de parvenir à qualifier le partenariat pour mieux le sécuriser. Schématiquement, ces partenariats consistent presque systématiquement en des cessions de terrain accompagnées d’une série d’engagements réciproques quant aux constructions qui seront réalisées. L’enjeu est d’être capable juridiquement de saisir cet ensemble et en particulier de distinguer dans le cadre de ce partenariat, ce qui relève ou pas du champ de la commande publique et des obligations de mise en concurrence qui en découlent. Il en va de la régularité du montage en ayant conscience que le non-respect d’une règle de mise en concurrence fait automatiquement naître un risque pénal de délit de favoritisme. La difficulté est que le droit reste très pauvre en la matière et qu’il y encore trop peu de jurisprudence pour bien appréhender les différentes situations susceptibles de se présenter en pratique.

G. D. : Si la réforme de la commande publique de 2016 a apporté un début d’armature, il manque un cadre clair pour la réalisation de ces projets qui je le rappelle sont vertueux. Il n’existe que très peu de jurisprudence – et aucune du Conseil d’État - sur le sujet et cette insécurité juridique ne facilite pas la réalisation de ces partenariats public-privé.

En matière d’organisation de projets de copromotion, la situation est-elle comparable ?

B.N. : Les sociétés de co-promotion ont été rendues possibles pour les bailleurs sociaux par la loi pour l’accès au logement et un urbanisme rénové (dite loi « ALUR ») du 24 mars 2014, puis pérennisée par la loi portant évolution du logement, de l’aménagement et du numérique (dite loi « ELAN ») du 23 novembre 2018. Les bailleurs sociaux ont donc un cadre qui leur permet d’agir sur le fondement de dispositions spécifiques insérées dans le code de la construction et de l’habitation. Néanmoins, ces dispositions demeurent assez restrictives.

G.D. : En effet, l’autorisation donnée aux bailleurs sociaux pour recourir à la copromotion est étroite car elle ne vise que les opérations de production de logements. Or, dans la pratique, il est très fréquent que des locaux commerciaux soient prévus en pied d’immeuble dans ce qui est construit, en prévision de la vie de quartier, comme une boulangerie par exemple. Dans un tel cas de figure, les opérateurs sont donc contraints d’isoler les commerciaux dans le cadre d’une division en volumes et de faire intervenir une autre société en co-maîtrise d’ouvrage. Cette lourdeur peut être rédhibitoire.

Par ailleurs, il est important pour nous, les promoteurs privés, que la société commune créée pour l’occasion ne devienne pas un pouvoir adjudicateur soumise aux règles de la commande publique… Pour cela, il faut que le co-partenaire public accepte de laisser une part importante de la gestion de la société à l’opérateur privé. Or, ce n’est pas toujours évident à organiser.

B.N. : Des incertitudes importantes demeures enfin sur l’application des textes. Je prends un exemple : la loi exige que la quote-part de capital social détenue par le bailleur social soit équivalente à la part de logements sociaux réalisés dans le cadre de cette opération. En revanche, la loi ne dit pas comment évaluer cette part de logements sociaux, s’il faut raisonner en nombre de logements, en surface, en chiffre d’affaires…

Il manque un cadre clair pour la réalisation de ces partenariats public-privés qui, je le rappelle, sont vertueux.

Guillaume Delacroix directeur juridique d’altarea et président de juridim

Comment s’opère la répartition des pouvoirs et la gestion des conflits d’intérêts au sein de de ces sociétés ?

B. N. : Il s’agit de sociétés et en toute logique du fonctionnement normal d’une société, en fonction des accords trouvés par les partenaires et de ce que prévoient les statuts et pacte d’associés. Une attention particulière doit être portée aux pouvoirs du partenaire public : en fonction des pouvoirs qui lui seront conférés et de l’influence qu’il exercera ainsi sur la société et sur le projet, les règles applicables pourront varier. Une influence dominante du partenaire public pourra ainsi en particulier avoir pour conséquence de soumettre la société et ses activités au droit de la commande publique. Il importe donc que les partenaires soient suffisamment éclairés sur cela et en tiennent compte le cas échéant dans la répartition des pouvoirs et dans la rédaction des actes qui régissent la société, même si sur certains sujets, il est bien entendu impossible de laisser la personne publique, sans droit de regard, ni parfois un droit de blocage.

G. D. : Par exemple, il n’est pas anormal qu’un bailleur social associé valide le budget d’une opération. En revanche, il n’a pas à valider le nom des intervenants ou l’avenant à tel ou tel marché. Il ne serait alors plus un associé dormant et la société commune deviendrait pouvoir adjudicateur. Il y a ensuite la question, complexe, des conflits d’intérêts.

De manière concrète, la société commune avec le bailleur social, va vendre au même bailleur social une partie des logements. Ce dernier se trouve donc à la fois vendeur et acheteur. La situation est délicate si un chantier se passe mal, qu’il y a des retards de livraison, des problèmes de qualité... Les règles de gestion des conflits d’intérêts dans les pactes d’associés sont donc des sujets importants et complexes qu’il est décisif de régler dès le début du projet et en s’entourant des meilleures compétences. Le gain de sécurité apporte une vraie plus-value au projet.

A ce jour, quels sont les principaux freins au recours à ces partenariats public/privé en matière immobilière ?

G. D. : Le principal frein est l’insécurité juridique que j’évoquais tout à l’heure, faute d’un cadre clair. Le risque de mise en cause de la responsabilité pénale au titre du non-respect des règles de la commande publique est le plus redouté forcément, mais il me semble assez limité au regard des grandes précautions prises par les acteurs qui ne s’aventurent pas dans ces opérations à la légère et se font généralement assistés par des avocats. En revanche, le risque de recours administratifs contre les délibérations de la collectivité autorisant ces opérations ou contre les contrats eux même est pour moi bien plus probable. Ces recours peuvent être formés par des promoteurs concurrents mais le plus souvent, ce sont des membres de l’opposition qui en sont à l’origine plus pour des raisons politiques qu’autre chose d’ailleurs. Ces recours peuvent conduire à l’abandon de ces projets, après plusieurs mois de travail et beaucoup d’argent dépensé en études….

B. N. : Le risque pénal ne doit pas être négligé car les contrôles se développent. J’ai pu observer pour ma part, à plusieurs reprises l’année dernière, que les juridictions financières s’intéressent à ce type de partenariats public privé immobiliers et n’hésitent pas à formuler des critiques sur le respect des règles de la commande publique. Nous avons eu l’occasion de répondre à ces critiques mais il ne faut pas oublier que les juridictions financières ont la possibilité de faire des signalements au parquet, et s’en privent de moins en moins.
Par ailleurs, concernant le logement social, les bailleurs sociaux sont soumis au contrôle de l’ANCOLS (Agence nationale de contrôle du logement social, ndlr) dont les rapports peuvent servir à des saisines du parquet. Même si saisine ne veut pas dire poursuites et poursuites ne veut pas dire condamnation, c’est néanmoins un risque qu’il ne faut pas minimiser.

Si jusqu’à présent les acteurs se sont très bien accommodés de l’absence de cadre spécifiques, des évolutions permettant d’accroitre la sécurité juridique ne seraient-elles pas bienvenues ?

G. D. : Tous les acteurs publics et parapublics n’ont pas la même expérience acquise de la pratique de ces opérations. En outre, tous n’ont pas non plus en interne les mêmes compétences pour appréhender ces projets. Dès lors, des progrès pourraient être apportés afin de les rendre plus accessibles et moins anxiogènes.

Si l’on est, par exemple, dans le cadre d’une opération où le promoteur privé achète le foncier à la ville, et si le contrat est un contrat mixte, il faut vérifier quel est l’objet principal du contrat. En effet, il faut alors déterminer s’il s’agit d’une simple vente immobilière ou s’il s’agit d’un contrat ayant pour objet principal la construction d’un équipement public et appellerait de facto l’application des règles de la commande publique. Or, rien dans les textes ne vient déterminer la méthode à appliquer et cela suscite beaucoup d’hésitation auprès des acteurs les moins aguerris. En la matière, fixer un seuil serait un véritable progrès.

B. N. : Mais la fixation d’un seuil ne résoudrait sans doute pas tout au regard du droit européen qui exige que l’on tienne compte de la finalité de l’opération. Comme le suggère Guillaume, il serait utile que l’on puisse prendre en compte d’autres critères, comme les raisons qui sont à l’origine de la réalisation d’un équipement public. Prenons l’exemple d’un terrain sur lequel est situé un équipement public dont il est prévu la reconstruction par le partenaire privé sur un autre terrain dans le cadre de l’opération.

Dans un cas, cette reconstruction peut correspondre à la volonté initiale du partenaire public, en échange de droits à construire attribués au partenaire privé.

Mais dans un autre cas, cette reconstruction peut correspondre au besoin du promoteur privé, qui en tant qu’acquéreur d’un terrain, très bien situé, a intérêt à déplacer un équipement public afin de réaliser son projet immobilier.

De même, dans un programme immobilier de grande ampleur, qui par le nombre de personnes logées génère un besoin d’équipements publics comme, par exemple, une crèche ou une école, la construction de ces équipements publics répond avant tout aux besoins du promoteur privé et de la commercialisation de son programme.

Le droit est clairement un facteur majeur pour que le partenariat public-privé soit stable et sûr et donc faisable

Guillaume Delacroix directeur juridique d’altarea et président de juridim

Quels sont les principaux facteurs de réussite de ces partenariats ?

G. D. : Le droit est clairement un facteur majeur pour que le projet soit stable et sûr et donc faisable. Cela est valable aussi bien pour les promoteurs que pour les acteurs publics, collectivités ou bailleurs sociaux. D’ailleurs, le fait que des passages puissent avoir lieu entre les mondes public et privé est également un facteur de réussite car cela permet aux deux parties de mieux connaitre la culture et les pratique de l’autre et de déconstruire les à-priori qui existent des deux côtés.

B. N. : Les acteurs publics sont rassurés par l’existence de règles, tant en France qu’au niveau européen. Derrière les cas spécifiques qui ont jusque-là fait l’objet de décisions de jurisprudence, il est important de parvenir à dégager les grandes lignes de sécurisation de ces partenariats. Nous nous y employons auprès de nos clients et œuvrons pour que les textes puissent être clarifiés voire certains partenariats institutionnalisés, sur le modèle par exemple des Semop auxquelles ont recours des collectivités locales pour des projets d’aménagement ou de services publics. ommercialisation de son programme.

Des mesures pourraient-elles être prises en la matière ?

G. D. : Par analogie, on pourrait se référer à ce qui existe en matière de marchés de partenariats. La personne publique qui lance son projet doit faire une analyse coûts/avantages via une évaluation préalable. Ce travail est soumis à la mission d’appui aux partenariats publics-privés, soit une forme de rescrit. Compte tenu de l’importance de la question du logement et du rôle positif que peut jouer le développement de ces partenariats, l’investissement dans un tel dispositif mériterait d’être au moins évalué. Derrière cela, cela permettrait de rationaliser les moyens et d’accroitre l’efficacité dans la conduite des projets

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B. N. : Les différents points que nous avons cités tracent la voie de progrès utiles. Une clarification et un enrichissement des textes à cet égard seraient ainsi certainement de nature à encourager et bien entendu sécuriser davantage les partenariats public-privé en matière immobilière. Mais ce qui demeure déterminant, c’est d’appréhender juridiquement ces projets en maitrisant à la fois le droit de la commande publique, le droit de l’immobilier, le droit des sociétés sans oublier le droit de l’urbanisme. Par-delà la technique, il est essentiel d’anticiper à chaque fois la manière dont un montage pourrait être perçu et qualifié juridiquement si un juge avait à en connaître et d’être parfaitement capable d’expliquer les choix qui ont été faits.